nouvelles vagues. COVID -19, Journal

2021

La « règle du jeu », dans l’abstraction qui devient poème, est l’appétit d’y aller. Une pulsion qui fourmille dans les doigts et dans cette part du mental qu’est l’envie de créer.
Je regarde les traces de Michel Braun où quelques fils géométriques suffisent à encadrer le lyrisme. Une question de quantité, de mesure. En art, la composition tient le rythme, l’anime et le circonscrit. Mouvement double de propulsion et de retenue. En ce sens, toute œuvre aboutie est riche et pauvre : riche d’une connaissance intériorisée, pauvre de la simplicité retrouvée.

Les oeuvres de Michel Braun se présentent comme les empreintes traçantes d’une présence enfuie, d’un passage dont on aurait conservé un sillage lumineux par noir. Les traces sont les monographes de l’artiste. Il n’y a rien là d’imprécis, mais un aléatoire transité par un inconscient qui serait désir. La beauté résulte du circuit des impuretés, de la tache ayant suivi son cours jusqu’à une harmonie lisible, celle que nous interprétons. Ou mieux, que nous avons su lire en nous y incorporant. Transfert d’un corps à l’autre. A la science du contour et de la tache, répond la compétence de l’œil. Ce que l’art du Japon enseigne par la subtilité de la patience et de la lenteur. Sans aucune contrainte, le rien-du-tout s’impose et contredit le « presque rien » qu’évoque le,philosophe Jankélévitch. Le fil de l’harmonie est mince entre l’audace maîtrisée et la liberté créatrice.

Michel Braun s’installe, dès lors, dans « la lignée de l’impulsion », pour reprendre une formule de Michel Seuphor. Bien qu’instructif, cet énoncé reste incomplet, passant sous silence la valeur de la main, rompue, dès l’enfance, à toutes les manoeuvres de l’art pictural. Les carnets de l’artiste en disent long de la « cosa mentale » transférée dans le pouvoir du geste.

Dans sa dernière série d’œuvres (2021), Michel Braun poursuit son expérimentation, par le noir, vers l’inconnu. Ces explorations récentes jouent sur des effets de peinture acrylique sur métal. Les effets deviennent plus organiques, semblent une capture sous microscope de cellules en mouvement. Le microcosme évoque ou contient le macrocosme. Rien ne rompt, mais tout s’assemble et se désassemble. Michel Braun considère cette série de peintures sur aluminium comme un Journal de confinement, comme ce fut le cas pour la série précédente, élaborée en mars 2020.

Tout confinement prolongé est un arrêt. Les ensembles conjugués pendant cette période présentent donc deux aspects : d’une part, la mise au point d’une procédure nouvelle, née d’une opportunité imposée : en l’occurrence, la collecte impossible de matériaux habituels. Enfermement oblige, l’artiste adapte son œuvre à la récupération de matériaux stockés dans l’atelier. Il s’agit, d’autre part, d’aller au bout de cette expérimentation nouvelle : un exercice de style à partir d’une pénurie.
L’aluminium va non seulement devenir un support d’œuvre, mais support d’une aventure créative qui est chère à l’artiste et détermine de nouvelles rencontres picturales, comme ce fut le cas de ses suites à l’encre de Chine, au retour de Pékin. Certes, l’opportunité ouvre la voie de l’aventure.

Voir Michel Braun éclaire sa démarche. Il se dégage de sa personne une énergie sans hâte, une présence absolue.

Tita Reut, poète et éditrice.


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Michel Braun l’insulaire

2019

Implantation, relecture, mouvement intimes, tremblement, apparition : les titres des œuvres peintes (ici de Michel Braun) – héritage nominal des expositions d’art et d’antiquités – s’ils ne qualifient pas un événement ou une figuration, se déclinent explicitement dans leur apparente neutralité : comme les lignes imperceptibles d’une esthétique.
Un concept ne s'illustre pas, ou alors il devient image, allégorie, pensée arrêtée ou fuyante. Le carré blanc sur fond blanc de Malévitch désigne-il cet évangile coupant le fil de l'aube, comme eût pu l’interpréter telle vestale surréaliste? Et  le commentaire de ce qui n’a pas figure peut-il échapper à la simple description ou a son équation aléatoire?
Un verbe né de lui-même contre lui-même remet en question la parole et l'être lointain qui la configure. L'opération d'une négation redoublée pourtant restitue le préalable, le fond cosmologique, à savoir l'effet de présence, la lumière comme origine, ce que l’artiste désembourbé du sujet voudrait saisir de sa conscience, ou plutôt de l’être inconnaissable – du seul point de vue phénoménologique.
"Le jardin se cache parce qu'il n'est que le signe du jardin devant l'explosion possible de la rose" écrit Delphine Durand, poète et historienne d'art. Que nous veut l'abstraction aujourd'hui entre "le rien devenu question" du suprématisme et, songeant à Wols, la totalité comme palimpseste infini? 
La fin ultime d'un art est-elle de proscrire la ressemblance – et partant son commentaire – ou du moins la rendre caduque. Ce que je vois me dévoie, puisque je ne saurai le nommer qu'en-deçà du discours. Michel Braun cherche un Graal qui n'est pas d’aucun visible, de nul rapport au sujet, et qui pourtant s’identifie au réel du monde. On pourrait sans mal évoquer ou invoquer l’héritage du mouvement Support/Surface qui ramenait la peinture à son seul cadre, fût-il décadré, et à « la mise à nu des éléments picturaux », définitivement soustrait à la séduction des ailleurs, du côté d’un Jean-Pierre Pincemin, de l’intelligence confrontée au grand neutre de la nuit de l’être. C’est un territoire austère que Michel Braun investit, en méfiance de cette « maitresse d’erreur et de fausseté » qu’est l’imagination, dans une confrontation méticuleuse, quasi pascalienne, avec l’insaisissable. « Tout ce qui est transcendant, écrit Husserl, doit être pourvu de l'indice de nullité » – lequel indice renvoie à la conscience se décantant des imageries naturelles qui l’aveuglent pour atteindre idéalement au phénomène pur. Le visible est  « toujours plus loin », disait aussi Merleau-Ponty, il ne saurait être exposé qu’en tant qu’invisible : ce qui dans la présence échappe à une distance infinie de son signe.
Fort de cette fragile, essentielle plissure entre être et voir, Michel Braun s’astreint aux justes apparitions, dans l’interrogation des seuils.

Hubert Haddad, écrivain.


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Espaces en l’espèce

2017

Gaston Bachelard affirmait que la nature n’était plus la même depuis les impressionnistes, et Oscar Wilde écrivait «l’art invente la nature». Chez Braun les images viennent du dedans d’elles-mêmes, la terre sort de la terre. On l’imagine en train de dessiner alors que la peinture n’est pas sèche, en train de gratter et de soustraire la peinture afin d’inscrire une nouvelle trace. De cette technique résulte la disparition du fond du tableau et la perte de distinction habituelle entre les divers plans.
Quelques empreintes ou quelques courbes sur un fond monochrome suffisent à créer une concentration du regard. L’objectif de l’artiste n’est pas de représenter mais de fournir un regard affûté en créant des «espèce d’espaces» ( Michaux ).
Existe dans l’oeuvre le génie du lieu et du non-lieu. L’artiste n’approche en conséquence rien d’établi, il mise sur la nudité des formes et leur délocalisation comme si le tableau proposait des matériaux non représentationnels, mais comme «soufflés» sur une paroi dans ce qui tient du décrochement figural, de l’engloutissement, de la plongée et d’une paradoxale concentration par implosion.
Le regard devient abyssal face à une peinture qui n’est plus surface enrobante mais une surface qui dérobe et se dérobe. Elle devient l’interface agissante entre le sensible et le sens, le possible et l’impensable.
Et dans ses oeuvres les plus récentes il se pourrait que de la négation surgisse une affirmation. Du noir émerge la lumière, telle une dernière folie du jour.
Et si Michel Braun n’avait pas été artiste plasticien il aurait sans doute créé de la musique «le plus abstrait des arts» selon Schopenhauer.
Pour lui le réel comme l’image apparaissent comme des voiles qu’il faut déchirer afin d’atteindre les choses ( ou le néant ) qui se trouvent derrière. Dans ces conditions, au sein même d’une forme de négation du réel, surgit une inévitable présence. L’artiste la rend sensible.

Jean-Paul Gavard Perret, poète et critique littéraire.


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L’arpenteur de Port-Royal

2012

Dans ses notes d’atelier, Michel Braun consigne sous forme d’inventaire, les éléments d’une poïétique formelle qui prend sa source dans la dynamique de la marche.
Figure de l’artiste en marcheur sur les états momentanés que lui offrent les surfaces du sol urbain. Les surfaces-matières, d’apparence informes, se livrent à l’artiste telles des plaques sensibles révélatrices de tous les dépôts laissés par le temps.
Mémoire du sol constitué d’un agrégat de bitume, goudron, béton tramé, plaques de métal et résidus divers pétrifiés par le passage du temps. L’artiste s’adonne alors à un travail de sonde de cette écorce urbaine lui donnant ainsi forme, matières, textures, strates, trames, abrasion, usures dont les éléments d’un lexique sont appelés à devenir message structuré.
La peinture de Michel Braun s’apparente à la marche / démarche, engendrant alors une rêverie active, qui déclenche à même le support un processus à lente maturation qui, comme les éléments telluriques qui l’inspire, sera traité à plat. Par recouvrements successifs, dépôts de matières poudreuses, l’artiste porte attention aux phénomènes physiques et sensibles qui adviennent sur sa plaque enregistreuse comme par le fruit d’un hasard savamment contrôlé.
Pourtant rien ne porte ici à l’exaltation, pas de gestuelle échevelée, le travail est d’un autre ordre, intériorisé voire distancié.
Partant d’une rêverie de la matière qui trouve son origine dans la lecture humble et attentive d’une cartographie terrestre, le support une fois travaillé se verticalise pour devenir espace. Travaillé à l’échelle de fragment, la peinture une fois accrochée, provoque un changement radical de perception.
Les obsessions « rétiniennes » qui ont présidé à son élaboration sont dépassées. Le fragment se commue alors en un reflet de l’infiniment grand permettant ainsi au tableau (à l’oeuvre) de développer sa propre « musique picturale ».

Jean Jérôme, professeur à l'université de Strasbourg U.F.R. Arts.


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Dans le giron du chaos...

2014

La brèche que semble ouvrir Michel Braun nous introduit au cœur du chaos. En l’occurrence, Paul Klee précise que le chaos (la béance) n’est pas représentable, qu’il est Rien, ou quelque chose en sommeil, et si on cherche à le rendre perceptible aux sens, on aboutit au concept de gris...
Nous pénétrons dans la peinture de Michel Braun et nous la contemplons avec le désir de nous y trouver, d’être « dans » ses tableaux. On a l’impression que Michel Braun retrouve ces sensations confuses que nous apportons tous au monde en naissant. Et de ces sensations, il s’agit pour lui de faire une œuvre où fonctionne le monde. Le peintre ne regarde pas comme un touriste ; il ne voit pas d’abord ce qui est devant lui, mais la manière dont les choses lui sont présentes et dont il est présent aux choses. C’est au travers du comment, qu’il communique et représente le quoi. Un peintre n’est pas une rétine, mais un regard, et tout regard suppose un homme qui regarde. Regarder, c’est se constituer en « foyer du monde ». Le pictural n’est pas le pittoresque.
On comprend mieux avec Michel Braun que la peinture n’imite pas le spectacle des choses, mais imite le processus d’évolution qui a rendu les choses telles que nous les voyons. La peinture imite le geste du créateur comme ont pu le dire les anciens. Et là, il s’agit moins pour lui de décrire des aspects extérieurs que de saisir des principes internes qui structurent toutes choses et qui les relient entre elles. Par ailleurs, « chaque point –dans les tableaux- est une graine semée qui promet sans cesse de nouvelles éclosion », comme dit le peintre chinois moderne Huang Pin-hung (1864 -1955).
On comprend mieux aussi combien l’homme se fait homme en assimilant l’essence de l’univers : le fonctionnement d’un microcosme que l’on croit voir au premier regard semble s’identifier progressivement au fonctionnement du macrocosme : maturation millénaire, rythme cosmique. C’est comme si on sentait certaines pulsions irrésistibles de l’homme, mais surtout, la peinture de Michel Braun semble incarner la loi de la transformation. Ce faisant, il semble donner libre court aux influx qui animent son propre être.
Avec les peintures de Michel Braun, il devient possible de participer aux métamorphoses de l’univers et de sonder l’immensité lointaine de la terre… C’est comme si sa peinture nous présentait la métamorphose du monde, c’est-à-dire les choses et les phénomènes dans leur élan et leur forme, dans un mouvement perpétuel. Et puis tout à coup, les figures extérieures deviennent la représentation d’un monde intérieur…
Michel Braun ne fait-il pas, dans « ces paysages », le portrait de l’homme ? Non pas le portrait d’un personnage isolé, mais d’un être relié aux mouvements fondamentaux de l’univers ? Si l’on répond par l’affirmative, Michel Braun rejoint certaines figures mythiques, et par là nous entraine dans la nostalgie d’un monde originel.

Bernard Rigaud, docteur à l’EHESS.


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à propos de ...

2010

soir sa descente enténèbre au mur blanc le carré de toile en tonalités bleu-gris empreinte délicate et assombrit même ses deux minces droites rouges tracées au stylo feutre

ah le noir mais pourquoi mais comment quelle méthode rejetée aussitôt sinon par étonnement et surprise et magie
toute chose possède forme et place et ainsi notre imagination rapporte de l’inconnu au-devant d’une aventure dans un lieu avec son frère le temps… l’inconnu je le devine par des signes souhaités attendus la représentation présence d’une présence antérieure ou non car une représentation peut être une première présentation alors sa présence est inaugurale matinale dit au pluriel le peintre mais pourquoi représente-t-elle toutefois mais parce que c’est un dessin une peinture un rythme de fines couleurs enregistrées sur un papier une étoffe un panneau de bois

je me retourne m’arrête net voici une toile Voix silencieuse d’abord aperçue comme une sorte d’énigme sous une écriture en abondance nulle bigarrure ou plutôt l’observation l’attention la contemplation l’émotion la suspension pour du moins saisir les signes et figures une indication une vraie distinction… l’émerveillement et le cours d’une métamorphose peinte – deux courtes bandes blanches – juste là en face du regard soudain intéressé arrêté à l’ampleur picturale à un ailleurs déposé en l’intimité de vous et de moi tous déjà proches d’un rendez-vous ou en train de l’être

continuons de pouvoir voir… le tableau Griffure carton ondulé marque brune d’une griffe sur quelle peau eh bien sûr celle de chaque personne – de son rôle – que ce tableau met remet dans une autre durée de vie par chance éternelle une métamorphose donc. À vous de le sentir et d’en être l’objet.

Louis Dalla Fior, écrivain et poète.

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